Article #22 – Auteure : Fabienne P.
Au Cocon Solidaire, la sororité est le fondement même de notre initiative. Si chacune en embrasse les grands principes, nos définitions et nos imaginaires en dessinent des contours aux nuances variées. Et si l’une de nos adhérentes vous en parlait ? Embarquez avec Fabienne et découvrez sa vision de la sororité.
Sororité, socle du Cocon Solidaire
Quand Déborah m’a proposé d’écrire un article sur la sororité, je me suis tout de suite demandé comment j’allais m’en sortir.
So-ro-ri-té. Le mot flottait autour de mes oreilles, sans que je m’en saisisse.
Il me gênait presque. J’y voyais un terme à la mode et je savais déjà qu’il essuyait des critiques : « monde des Bisounours », « pur marketing », « communauté de wokistes mainstream » (sic). Sororité m’évoquait plus les commentaires réactionnaires qu’on trouve sur Facebook qu’un véritable concept que je ne comprenais pas.
Ou peut-être le confondais-je avec féminisme ? Je chuchote ce mot. J’ai peur d’être traitée d’hystérique, qu’on me demande de justifier ma colère ou de me calmer.
Mon amie Melly a raison. Rien de tel n’est exigé des hommes.
J’ose à peine préciser mon féminisme, comment pourrais-je appréhender la sororité ?
Je ne pouvais y songer sans tourner mes pensées vers ma propre sœur, avec la charge d’amour et d’angoisse que provoquent parfois les liens du sang. Ou encore à ces films et séries stupides où les sororités sont des confréries universitaires de jeunes écervelées.
Bien sûr, toutes les confréries ne sont pas habitées par des pestes (Le film Legally Blonde 1 le montre bien) et songer à mon jeune frère soulève chez moi les mêmes bouffées d’angoisse.
Sororité.
Un autre souvenir me revint : « Anne ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? » 2. La sororité comme une petite communauté de femmes, enfermées et passives, se tournant vers le lointain, pour échapper à un mari monstrueux. La sororité sur laquelle on s’appuie, avec laquelle on espère.
Et mes réflexions en restèrent là.
J’ai donc interrogé mon ami Google. Il m’envoya vers la page Wikipédia, l’auteure Chloé Delaume et des podcasts.
Sororité, était le nom donné aux communautés religieuses au Moyen-âge. Puis le mot tomba dans l’oubli avant d’être réveillé par les féministes dits de la seconde vague, au milieu des années 1970. Sororité signifiait alors lutte des femmes et il sonnait comme sonne lutte des classes.
Être une, femmes bourgeoises comme prolétaires.
Être égales, car toutes nous subissons le patriarcat 3.
Être ensemble, faire front, se battre : « partout où il y aura de la vie » 4.
Sororité, 2.0
Le terme est revenu à la mode.
Pour Chloé Delaume, la sororité se définit par: « vouloir ne jamais nuire à une femme » 5. Elle souligne que nous autres femmes avons été conditionnées à ne pas nous apprécier voire à nous détester. Le fameux : « les femmes entre elles, ce sont les pires ! », comme si nos pensées et nos actes étaient nécessairement dominés par l’amertume et la jalousie.
Qu’opposer à cette pseudo compétition ?
Ma sœur, tu ne diras pas de mal du joug subit par une autre, même si cette autre t’est insupportable, même si cette autre s’oppose à toi ou à tout ce que tu défends. Même si tu combats ses idées avec toute ta force, ne lui nie pas le fait que, comme toi, elle subit le patriarcat.
Qu’elle soit une personne réelle ou fictive. Cette semaine, mon amie Melly et moi avons eu une longue conversation sur les personnages féminins dans les romans. Melly aime la romance, c’est son plaisir coupable. Cependant, Melly est intelligente. Elle critiquait vertement les personnages féminins comme autant de dindes prêtes à tout pour sauver le Mâle ténébreux. Or, le problème ne tient pas dans les personnages, mais dans les rôles toxiques dans lesquels on les enferme. Bella, Anastasia restent imbuvables, mais plus intolérables sont Edward Cullen et Christian Grey 6. Sœurs de papier, unissez-vous contre les rapports de pouvoir qui s’infiltrent partout ! Auteurs, autrices ! Construisons des figures qui ne se définissent ni comme des vierges effarouchées ni comme des guerrières castratrices !
La sororité pour faire corps, pour lutter contre un mal ancien, profond et qui nous divise.
N’est-ce que cela la sororité ? Se serrer les coudes contre la domination des hommes et le silence imposé aux femmes ? Le monde ressemble-t-il à celui de 1697 ?
Peut-être. Le matériau n’en est pas moins noble.
Sororité et amitiés féminines
Rhaina Cohen dans son article What if friendship, not marriage was the center of life ? 7 souligne également que la sororité est la marque des amitiés féminines. Des femmes entre elles, pour elles. Nous éprouvons la nécessité de tisser des liens, en dehors de ceux de la famille ou du mariage, nécessairement patriarcaux, pour en construire des plus égaux et plus solidaires.
Bien sûr, s’exclameront certains ! Desperate housewives ! Carrie Bradshaw ! Sœur, raconte-moi les derniers potins ! Trouve-moi aussi une seule représentation des amitiés féminines qui valide le test de Bechdell-Wallace ? 8
La vie de Carrie tournait autour de Big et des chaussures, comme celle de Charlotte autour de ses maris. Seules Samantha ou parfois Miranda semblaient tirer leurs épingles du jeu, enfin, jusqu’aux films et à la nouvelle série… Samantha au loin et Miranda escamotée. Reste Carrie qui pleure son mari et Charlotte qui apprend à sa fille à mettre un tampon. Une belle amitié peut-être, mais écrite par un homme peu soucieux de comprendre les femmes. Il faut voir Emily in Paris pour comprendre le degré de machisme de l’individu.
Je pense surtout à toutes ces femmes, dont certaines de mes proches croulant sous la charge mentale et émotionnelle que leur imposent le couple ou la vie de famille ; à toutes celles qui ont subi, une, deux, quatre fausses couches ; sans être comprises par leur entourage. Vers qui peuvent-elles se tourner si ce n’est leurs égales ? Qui peut panser leurs plaies ? Sœur, amie, appuie-toi sur moi !
Nous partageons aussi nos rêves de grandeur et de marche aux sommets, de bivouacs en forêt, sans compétition ni malaise. Juste nous et le ciel immense.
Il y a les heures joyeuses, pleines d’apéros et repas partagés, de films vus, de livres conseillés, de débats, de fous rires. Bien sûr que nous parlons de nos compagnons ou compagnes, bien sûr que nous nous inquiétons pour nos enfants ; mais nous ne nous réduisons pas à cela. Nous voulons vivre pour nous même.
La sororité comme éthique associative
Sororité pour ne plus être seule. L’isolement des femmes notamment quand elles prennent de l’âge est une réalité et un fléau.
Sororité pour être ensemble. Avoir un temps à nous, une chambre à soi 9, un cocon.
Il existe des associations qui proposent cette pause aux femmes. Elles s’y retirent un instant de leurs obligations, pour s’appuyer les unes sur les autres et construire quelque chose à soi. Le Cocon solidaire est de ces initiatives. Que les femmes veuillent lutter pour l’égalité, se réaliser ou qu’elles expriment le besoin d’être entre elles, qu’elles y cherchent un temps de loisirs, des rencontres, des conseils pour le quotidien, la sororité du Cocon demeure bienveillante. Les membres sont les sœurs Anne du conte. Elles sont le regard d’espoir vers l’horizon, le pilier, sauf qu’ici nulle femme n’attend la délivrance d’un frère chevalier. Elles sont à elles-mêmes et entre elles-mêmes leurs propres héroïnes.
P.S. de l’auteure : Cet article n’a rien d’exhaustif. Il reflète mon point de vue, nécessairement partial. Je n’ai pas inclus les critiques légitimes contre le terme sororité. Je n’ai pas parlé de l’adelphité qui regroupe sans connotation de genre, les termes de fraternité et de sororité. Plus inclusif, ce mot peu usité correspondrait mieux à une solidarité et une lutte partagée contre le patriarcat.
Je vous renvoie, chers lecteurs, à l’écoute de l’excellent podcast qui a servi de fil rouge à l’écriture de cet article : Sororité, Utopie ou réalité, de Clémentine Gallot et Emeline Amétis, quoi de meuf, podcast n° 133. Je renvoie aussi à la complète bibliographie proposée.
Si cet article vous intéresse, vous fait réagir, n’hésitez pas à partager et à laisser un commentaire.
Notes
- La revanche d’une blonde, avec Reese Whiterspoon, 2001.
- Charles Perrault, Barbe Bleue, 1697. Dans le conte, l’épouse après avoir découvert les crimes de Barbe Bleue est enfermée dans la tour avec sa sœur et supplie son mari de lui laisser un quart d’heure avant de l’égorger elle aussi. Elle attend ce jour funeste la visite de ses frères. À plusieurs reprises elle demande à Anne si elle les voit arriver par la fenêtre, espérant qu’ils les sauvent.
- Robin Morgan, poétesse, Sisterwood is powerful, anthologie. Citée par Clémentine Gallos et Emeline Amétis, Sororité, utopie ou réalité, Quoi de meuf, podcast n° 133, 9 mai 2021
- Clara Zetkin (textes de et sur), Je veux me battre partout où il y a de la vie, édition Hors d’Atteinte, 2021. Clara Zetkin était une activiste marxiste au début du XXe siècle.
- Chloé Delaume, Mes biens chères sœurs, Édition Points, 2020. Citée par Clémentine Gallos et Emeline Amétis Sororité, utopie ou réalité, Quoi de meuf, podcast n° 133, 9 mai 2021
- Edward Cullen est le héros vampirique de la saga Twilight de Stéphanie Meyer. gé d’une centaine d’années, il est amoureux d’une lycéenne de 17 ans qu’il n’hésite pas à stalker (entre autres). Christian Grey est un beau gars ténébreux qui passerait pour un pervers s’il n’était pas si riche. Il propose à la vierge Anastasia qu’il recrute à Mr Bricolage des jeux sexuels (en même temps qu’il achète de la corde). Les romans 50 Shades of Grey comme ses prédécesseurs Twilight ont été les sagas les plus vendues des années 2010.
- Rhaina Cohen, What if friendship, not marriage was the center of life ? , The Atlantic, 2020. Cité par le même podcast
- Le test de Bechdell-Wallace est un test adapté aux œuvres cinématographiques. Pour le valider, le film doit comporter deux personnages féminins, distinguables par leurs prénoms et qui ne discutent pas d’un homme.
- Virginia Woolf, Une chambre à soi, Éditions 19/18. Première parution en 1929.
Pour aller plus loin
Sources lues ou consultées par votre fidèle blogueuse :
Ouvrages
PERRAULT Charles, Barbe Bleu, 1697.
Woolf Virginia, Une Chambre à soi, Éditions 10/18, 1929. Dans cette conférence, Virginia Woolf écrivain pose les bases d’un féminisme littéraire où les femmes ont le droit de se retirer du monde (et des obligations du mariage) pour créer. Ce texte est un classique.
ZETKIN Clara (textes de et sur), Je veux me battre partout où il y a de la vie, édition Hors d’Atteinte, 2021.
Articles
COHEN Rhaina, What if friendship, not marriage was the center of life ?, The Atlantic, 2020
Disponible sur le site : https://www.confluencedaily.com/2020/10/21/the-atlantic-what-if-friendship-not-marriage-was-at-the-center-of-life/
BASTIDE Laurent, Sororité, adelphité, intersectionnalité : de quoi parle-t-on ? Site Oxfam France, septembre 2021. Disponible à l’adresse : https://www.oxfamfrance.org/inegalites-femmes-hommes/sororite-adelphite-intersectionnalite-de-quoi-parle-t-on/
MORGAN Robin, Sisterwood is powerful, anthologie. Voir : https://fr.abcdef.wiki/wiki/Sisterhood_Is_Powerful
L’ouvrage n’est plus édité.
Film
Legally Blonde (la revanche d’une blonde), 2001. Très jolis moments de sororité dans ce film.
Dans ma PAL (pile à lire)
DELAUME Chloé, Sororités, Mes bien chères sœurs et Un cœur synthétique. Les trois ouvrages sont publiés aux éditions POINTS.
Non cités, mais à lire
Les Glorieuses, newsletter gratuite (et un peu de contenu payant et de publicités. Disponible à l’adresse : https://lesglorieuses.fr/les-newsletters/les-glorieuses/
JABLONKA Ivan, Des hommes justes : du patriarcat aux nouvelles masculinités ; éditions le Seuil, 2019. Synthèse brillante de l’histoire du patriarcat et du féminisme, cet essai se termine par une introspection de l’auteur. Il se demande comment être : « un homme juste » c’est-à-dire un homme qui traite les femmes à égalité et avec respect dans une société profondément et encore aujourd’hui patriarcale.
Superbe point de vue sur la sororité !
J’avoue que c’est une notion que j’appréhende moins que celle du féminisme.. ..
Merci pour article si éclairant et à mon sens à tiroir qu’il faudrait lire plusieurs fois pour en connaître toute la mesure.
Parfait pour un 8 mars ! (Quoi c’est fait exprès ? ;p) qui s’inscrit dans la droite ligne du cocon solidaire et de ses valeurs.
Bref vivement un autre article ! Et de la sororité que diable !
Merci pour cet article très intéressant !
Interroger la sororité, c’est aussi interroger la manière dont on fait (ou non) de nous des filles, des femmes solidaires. A ce sujet et pour poursuivre la réflexion, je me permets de signaler la sortie récente (mars 2022) aux Editions Favre, d’un ouvrage de Racha Belmehdi « Rivalité, nom féminin. Une lecture féministe du mythe »
https://www.editionsfavre.com/livres/rivalite-nom-feminin/