Feminism

Garçon manqué Vs. Fille réussie

Temps de lecture : 5 minutes

Article #45 – Auteure : Déborah G.

Déborah, fondatrice du Cocon Solidaire, nous livre dans cet article sa vision et son rapport au féminisme. Un cheminement inconscient jusqu’à l’affirmation de soi et de ses opinions.

L’effet domino

Février 2022. Au détour d’une conversation banale, la question, inattendue, a surgi : “Et sinon, quand est-ce que tu es devenue féministe ?”. Aussi anodine soit-elle, cette question m’a laissé songeuse. Le féminisme s’est-il imposé à moi à un moment donné dans ma vie ? Quand ai-je fait mon « coming-out » sur le sujet ? Pour le comprendre, remontons le fil de mon histoire.

Devenir, se sentir et se reconnaître femme en premier lieu

Pour cela, posons le cadre : je suis blanche, née et élevée dans une famille modeste, dite “nucléaire”, à ce jour CSP+ et hétérosexuelle. Ces précisions sont pour moi importantes, ayant conscience des inégalités spécifiques touchant les personnes racisées, handicapées, de classes sociales dites “subalternes” ou encore d’orientation sexuelle “différente” de la “norme”. 

Quid du genre dans tout ça ? Dans mon enfance, je me suis construite en tant que “garçon manqué”, cadette de 2 frangines, éternelle fille à son papa. Casse-cou, cheveux courts, faisant le choix d’une scolarité dite “masculine”, portant des vêtements amples… Mon comportement et mes choix tendaient à m’éloigner des stéréotypes féminins. J’étais une fille mais “pas trop”. Comme si à l’époque, sans m’en rendre compte, je savais déjà que c’était un “problème” d’être une femme.

La perte du père, survenue à l’âge de mes 16 ans, fera définitivement tomber mon probable (mais léger) complexe d’Electre (version féminine du complexe d’Oedipe), traîné depuis ma jeunesse. Entre femmes – car je commence à l’époque à valider et conscientiser mon genre de femme cis à travers le regard des autres et surtout celui que je me porte, nous traversons cette épreuve et nous reconstruisons, non sans difficultés. 

Notamment celles de notre mère. Femme au foyer, mère et épouse dévouée, elle subit de plein fouet la disparition brutale du “chef de famille”. Elle se retrouve alors à faire face à une précarité économique, d’accès à l’emploi après 18 années à s’occuper de la famille, mais également à une précarité relationnelle, le veuvage faisant fuir l’entourage comme une envolée de corbeaux lorsqu’il survient si jeune, surtout auprès d’une femme.

Cette réalité, observée dans notre quotidien, entr’ouvrira la porte de ma conscience aux inégalités subies par les femmes, ne serait-ce qu’à travers la non-reconnaissance du travail domestique et familial, laissant sur le carreau celles qui ont tout, absolument tout consacré à leur foyer, et leur ont tant sacrifié.

Du végétarisme au féminisme

A cette époque, femme cis non revendiquée féministe, une règle d’or s’impose à moi, par éthique « Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas que l’on te fasse ». Et l’incarner vient à moi par le végétarisme, en supprimant toute chair animale de mon alimentation. La domination, l’oppression subie par les animaux, ainsi que le saccage environnemental causé par leur industrialisation, me deviennent intolérables.

Je ne développerai pas ce choix de vie qui est le mien, ne s’agissant pas de l’objet même de cet article. Il s’agit toutefois ici d’un élément déterminant car il existe à mon sens une passerelle entre végétarisme et féminisme. La nourriture englobe des processus de production qui impliquent des gens, des territoires, des sols et des animaux. Tout est connecté : manger de la viande, c’est manger un animal, mais c’est aussi cautionner et consommer de l’injustice.

Une hypothèse, portée par la féministe militante végétalienne américaine Carol J. Adams émet d’ailleurs l’idée que les femmes éprouvent plus de compassion envers les animaux que les hommes, parce qu’elles subissent depuis longtemps la domination masculine. Saviez-vous que beaucoup de suffragettes du début du XXe siècle étaient végétariennes, précisément par refus du patriarcat ? Preuve qu’elles avaient déjà fait le lien entre l’oppression masculine et l’exploitation animale.

Alors comment ai-je rejoint le courant du féminisme ? A dire vrai, j’ai mis du temps à appréhender le concept, ou tout du moins ses contours. Ce n’est effectivement pas pour rien que l’on parle des féminismes, plusieurs nuances d’opinions et formes d’expressions existant dans ce domaine. J’apprends encore, tous les jours, ce que sont les terrains et modes d’actions du féminisme, ses différentes couleurs. Et force est de constater que le champ est aussi vaste que nécessaire. 

Comment en suis-je venue à m’interroger à ce propos ? Parce que l’étiquette “féministe” dont on m’a affublée quand mes opinions ont commencé à se former à ce sujet m’a cueillie comme une insulte. Pourquoi ce terme me paraissait tant connoté négativement ? Certes, il était prononcé avec mépris dans la bouche des autres : “Tu as raison Simone”, “La féministe est de retour” sans oublier le fameux  “On ne peut plus rien dire”. 

J’ai donc eu besoin de comprendre. De quoi parle-t-on ? Je me souviens être partie en quête d’apprentissage : définitions, faits historiques, incarnation du féminisme à travers des personnes illustres et leurs faits “d’armes”, livres, documentaires… Une forme de boulimie (pas tout à fait éteinte à ce jour) s’est déclenchée pour répondre à l’introspection dans laquelle le regard et l’opinion de l’autre me forçaient à plonger. Avec une seule idée en tête : leur répondre et leur clouer le bec. Car oui, je suis féministe.

Est-ce que je souhaite une égalité réelle entre les hommes et les femmes, dans la vie privée et dans la vie publique ? Oui. À cette fin, est-ce que je contribue et soutiens le fait de dénoncer les inégalités faites aux femmes, tout en proposant des pistes de transformation de ces conditions ? Oui. Est-ce que j’ai conscience, bénéficie et suis reconnaissante des progrès obtenus grâce aux luttes féministes menées : accès à l’éducation, au droit de vote, au monde professionnel, égalité civile et libération de la sexualité ? Oui. Je pourrais poursuivre la check list mais force est de constater que j’adhère complètement à la folle mais non moins réaliste utopie de transformer la société, en contestant un ordre établi : celui des rapports asymétriques et hiérarchiques entre les hommes et les femmes.

Grâce à ces investigations, j’ai ainsi pu comprendre par ailleurs pourquoi le terme féministe était perçu négativement, les mouvements féministes ayant largement été décriés et caricaturés. De nombreux  détracteurs n’ont pas hésité à les faire passer pour des démarches non féminines et viriles. Finalement lorsqu’une femme dit: «je ne suis pas féministe, mais…», il me semble qu’elle exprime la crainte que son identité sexuelle soit mal perçue, tout en étant d’accord avec les revendications du féminisme. C’est pourquoi à mon sens le féminisme ne doit pas pousser les femmes à ressembler aux hommes, mais à revaloriser leurs qualités propres, en prenant leur fonctionnement, lié notamment au cycle et à la maternité, comme point de départ. En ce sens, ce n’est pas aux femmes de s’adapter à une société pensée par et pour les hommes pour s’émanciper. Mais à la société de le faire, via la responsabilisation des femmes elles-mêmes, et l’affirmation de leurs désirs. Nous avons des spécificités, qui sont de véritables trésors. Faisons-le savoir, encore et encore, valorisons-les et battons-nous pour qu’une juste place et reconnaissance leur soit accordée.

Ce qui est sûr dorénavant, c’est que lorsque je me retourne sur mon passé de garçon manqué, je me vois comme une fille réussie, qui n’a qu’un seul souhait : celui de vouloir vivre librement sa vie. En ce sens, je suis et resterai féministe.

Et vous, vous doutez encore ? Alors votre réponse se trouve ici. Bisous.

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