Gorgone féminisme

On ne naît pas Gorgone, on le devient

Temps de lecture : 7 minutes

Article #35 – Auteure : Fabienne P.

Fabienne, adhérente du Cocon Solidaire, nous explique son rapport au féminisme : ce qui la touche, l’anime et la fait agir. Découvrez sa vision et si cela résonne en vous, vous fait réagir, n’hésitez pas à commenter cet article… Ou à nous proposer le vôtre !

Vendredi noir

Rien n’allait ce vendredi. Il faisait bien trop chaud et je ne dormais plus depuis quelque temps. J’étais à un moment de ma vie où je n’avais pas la moindre idée de ce que j’allais en faire. Je ne parvenais même pas à me projeter sur le lendemain. Cependant, je ruminais une idée d’article pour le Cocon. Une nouvelle rubrique venait d’y apparaître : “qui a peur du grand méchant féminisme ?” Mon esprit s’accrochait à une pensée obsédante : écris sur ton déclic féministe.

Mon téléphone vibra ; une, deux, quatre notifications des sites d’actualité. L’arrêt Wade vs Roe garantissant aux femmes la liberté d’avorter était annulé, renvoyant aux états fédérés le libre choix de légiférer en faveur ou contre. Très vite, des gouverneurs (autrement dit des hommes blancs de plus de 50 ans) signèrent les décrets d’application des lois gâchettes, ces monstruosités juridiques interdisant ou restreignant le droit l’avortement, prévues pour être dégainées (elles portent bien leurs noms) au moindre frémissement de la Cour Suprême américaine.

J’étais déjà en colère et depuis un moment. Je suis comme Hulk pour qui la colère agit comme moteur. Elle me pousse à avancer. Elle me dessert aussi, mais pas cette fois, pas ce vendredi. Vendredi, je me suis levée et j’ai gueulé comme des milliers d’autres femmes, partout où je le pouvais, c’est-à-dire sur les réseaux sociaux.

On ne naît pas Gorgone, on le devient

Se dire féministe devrait être une évidence. Les droits des femmes sont des droits humains. Ils nous concernent tous et toutes. Je suis une personne donc je suis féminisme. Cogito ergo sum feminista ! Pourtant, il faut encore et encore, justifier son engagement à la lumière de son parcours.

Je préviens dès lors, le lecteur : raconter ce qui a fait de moi une féministe est l’équivalent d’une entrée gratuite au festival de la protestation et des émotions fortes. J’ai vécu dans une illusion et un jour je me suis réveillée. À présent des serpents sifflent sur ma tête et s’enroulent autour de ma taille. Je brandis mes défenses de sanglier et montre ma face hideuse.

« On » m’a menti toute ma vie en me faisant croire que j’étais l’égale des hommes et que je pouvais choisir, sans tenir compte de mon genre de naissance, le parcours de vie qui me conviendrait le mieux. Par contre, Fabienne, tu es nulle en maths, comme toutes les femmes ! Quelle blonde, tu fais, aucun sens de l’orientation ! Fabienne, nous avons besoin d’une personne disponible, vous envisagez une grossesse ? Non, vraiment ? À 30 ans, on y pense. Fabienne, le petit chéri, c’est pour quand ? Fabienne, tu passes ton permis pour ne pas dépendre d’un homme ? Fabienne, tu n’as pas d’enfants, tu ne sais pas ce que c’est. Fabienne, tu réagis en vieille fille. Fabienne, de quoi te plains-tu ? Tu es européenne. Tu prendrais du recul, si tu comparais ta situation à celles de femmes en Ukraine (en Chine/en Libye/en Ouganda… Entourez la case correspondante).

« On » m’a dit que mes choix ne seraient pas dictés, comme ma mère et sa mère avant elle, par des assignations de genre. Dans le même temps, les livres scolaires, les magazines, les séries TV me renvoyaient sans arrêt au cliché de la jeune fille mince et blanche, douce et gentille (mais cool) et surtout qui applique bien son gloss, merci Jeune et Jolie. Vous savez quoi ? Je n’étais ni douce, ni gentille, ni mince. J’avais donc un problème que le magazine pouvait m’aider à corriger. Achète donc la crème Slim fast cellulite stop contrôle. Reste assise sur ta serviette, en cambrant bien les reins pour qu’on ne voie pas les plis du ventre. Ils sont disgracieux, tu es disgracieuse…. Va te faire foutre Jeune et Jolie !

« On » m’a soutenu que je pouvais dormir sur mes deux oreilles. J’avais la pilule et le droit de me faire avorter. Hip hip hourra ! Par contre, personne ne m’a précisé que certains hommes me harcèleraient, me dicteraient mon comportement. Souris un peu ! Ah ne deviens pas comme elle ! C’est une mal baisée ! (Autrement dit si tu veux rester désirable, ne me tiens pas tête !). Heureusement toi, tu t’entretiens. (c’est-à-dire : tu as si bien intériorisé les injonctions esthétiques, que tu as un abonnement premium à la salle sport et la carte gold chez Sephora). 

On, on, on. Qui « on » ? Des hommes, principalement. Cependant, le patriarcat n’étant pas propre à un genre, un peu tout le monde. Aussi clichées que paraissent ces remarques, elles ont été prononcées, pour la plupart, par des proches aimants et bienveillants, par des responsables hiérarchiques, par moi-même à d’autres jeunes filles.  « On » est la main invisible du patriarcat qui assigne à chacun et chacune un rôle prédéfini. J’enfonce une porte ouverte, n’est-ce pas ?

Et après, pour celles qui vivront après moi ? Que dire à mes nièces ? À quel point, alerter ces adorables fillettes, qui ne pensent qu’aux poneys et aux papillons, que le monde où elles grandissent ne les croit pas libres de leurs choix ? Dois-je les mettre en garde contre les garçons qui soulèveront leurs jupes, les jugeront sur leurs physiques, les siffleront dans les rues ? Dois-je leur conseiller de pas porter plainte si par malheur l’un d’eux leur fera du mal, car elles ne seront pas entendues ? Et si elles échappent aux violences sexistes et sexuelles, dois-je les prévenir qu’elles seront moins rémunérées alors que leurs résultats sont meilleurs ? Qu’elles enfanteront dans la douleur, allongées sur le dos, pour faciliter la tâche des médecins ? Qu’une fois l’enfant né, elles assureront seules la charge d’organiser la vie de famille ? Qu’elles travailleront à temps partiel et donc perdront en droits et cotisations retraites, accentuant d’autant plus l’écart entre elles et les hommes qu’elles ont aimés ? Dois-je leur expliquer que, le droit pour lequel leur grand-mère s’est battue et qu’elle a cru acquis pour moi et ma sœur, est remis en cause ?

Trop de féminisme

Je suis en colère, donc, pour certains je féminazie. En d’autres temps, j’aurais été brûlée vive ou arrêtée et torturée. Par chance, je vis à une époque civilisée. L’humiliation sur les réseaux sociaux suffit.

« Lol, trop de féminisme tue le féminisme ! ». Cette remarque m’a été faite le 26 juin 2022, sur LinkedIin, alors que je soulignais un double standard : un homme qui dit s’occuper de ses enfants sur les réseaux sociaux est applaudi, une femme agissant de même est une mauvaise mère.

Lol. Nous en sommes là. Malgré les avancées profondes et réelles des cinquante dernières années pour le droit des femmes, malgré Me Too, malgré les milliers de discours, romans, essais, posts de femmes et d’hommes sur le sujet, malgré les initiatives en faveur des femmes (Cher Cocon) ; deux jours après la révocation de l’arrêt Wade vs Roe, un homme, que je ne connais pas qui montre ses toutes petites filles sur les réseaux sociaux pour servir son ego, minimise ce que je peux ressentir et me donne une leçon : je suis trop féministe. Lol.

Se lever et agir

Je ne suis pas Emmeline Pankhurst. Je ne suis pas une activiste. Je ne suis pas certaine que l’action la plus radicale et la plus violente soit efficace. Dans le fond, je ne suis pas obligée de transformer ma rage en actes qui me transcenderaient et changeraient le monde. Merci, mais non merci, je ne vis pas dans un film Disney. Et paye ton arrogance de croire que ton émotion te donne le droit de prescrire aux autres une façon de faire ou de penser.

Alors que faire ? Plutôt que puis-je faire moi, à mon échelle ?

  1. Gueuler encore et encore, tout le temps, partout. Refuser le silence. Traquer la moindre remarque condescendante à mon égard. Ne pas ménager, dire, mettre en lumière. Ne pas prendre de gants. Pourquoi le ferais-je ? Je ne dois rien à celui qui m’attaque. Ce sera difficile. Écrire sur les réseaux est une chose, le faire face à face, une autre.
  2. Eduquer. Elles poussent derrière moi, derrière nous, se construisent leurs places au soleil, nos nièces, nos filles, nos stagiaires. Nous avons un devoir de nous occuper de nos petites. Les avertir de ce qui peut les attendre, les informer, leur permettre de débattre. Leur montrer comment déjouer les pièges du patriarcat dès le plus jeune âge.
  3. Sensibiliser tous les autres. Autres au masculin. Expliquer aux hommes que si leur avis compte, il n’est pas nécessaire de toujours le donner, en tout temps et en particulier en nous coupant la parole. Vais-je arriver à débattre froidement alors que cela me brûle ?

Sensibiliser nos petits à cette même écoute. Le chantier de l’éducation des garçons est tellement vaste. Je vais commencer par mes neveux.

 

Pour aller plus loin

De belles organisations mènent un travail de déconstruction des stéréotypes de genre et promeuvent l’émancipation. Pour ceux et celles que cela intéresse et qui veulent s’engager : je partage deux structures, avec lesquelles j’ai travaillé. 

Rev’elle : association qui agit dans les quartiers populaires pour aider les jeunes filles à découvrir leur potentiel et à le mettre en valeur. Accompagnement personnel et professionnel.

Egaligône : par des interventions multiples et variées, l’institut promeut l’égalité et la déconstruction des stéréotypes dès l’enfance. Ils interviennent dans les classes et dans tous lieux prenant en charge des enfants et adolescents.

Emmeline Pankhurst est une activiste, une des principales organisatrices du mouvement des suffragettes pour l’obtention du droit de vote, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe. Elle a choisi la radicalité voyant qu’aucun moyen pacifiste et légal ne fonctionnait (bombes, destructions de vitrines, incendies). Le mouvement est réprimé : arrestations, tortures, gavage de force. Le vendredi 18 novembre 1910, Emmeline réunit 300 femmes pour protester devant le Parlement. La manifestation est écrasée, les femmes sont victimes de ratonnades et d’agressions sexuelles. Ce jour marque un tournant et attire la sympathie sur le mouvement. Il est nommé « le black Friday », le vendredi noir.

Les Gorgones sont des créatures de la mythologie grecque. Méduse est la seule qui est mortelle. Prêtresse, au temple d’Athéna, elle est un jour violée. Athéna la chasse et la dote de serpents en guise de chevelure. Elle est si hideuse que son regard pétrifie ceux qui le croisent. Persée, le héros, met fin à son malheur en lui tranchant la tête. Cette dernière ornera ensuite le bouclier d’Athéna.

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1 réflexion sur “On ne naît pas Gorgone, on le devient”

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