Article #51 – Auteure : Francesca
Cette semaine, c’est Francesca, stagiaire pour la communication du Cocon, qui nous propose son rapport au féminisme. Vous aussi, décrivez votre lien au féminisme, et envoyez-nous vos textes pour apparaître dans le blog !
Je me suis toujours considérée comme féministe, depuis mon plus petit âge. Peut-être parce que mes parents m’en parlaient à la maison, ou alors simplement parce que j’étais fière d’être une fille, je ne sais pas trop.
Pourtant, j’ai conscience d’être une femme plus que chanceuse. Je suis blanche, aux yeux bleus, mince, ce qui correspond à tous les critères actuels de beauté. On ne m’a jamais vraiment dérangée dans la rue et je ne me suis jamais retrouvée dans des situations compliquées de harcèlement. J’ai grandi dans une grande famille pleine d’amour sans conditions, j’ai toujours su faire en sorte qu’on m’écoute quand j’ai quelque chose à dire, j’ai une santé parfaite.
Et pourtant, je pense que c’est cette chance qui me pousse à faire de mon mieux pour faire reculer les problèmes de ce monde, je me sens redevable à cette vie.
J’aimerais vous parler du jour où j’ai compris que j’allais devoir élever la voix pour qu’on m’entende. C’est à hauteur de 6 ans que j’ai découvert l’injustice dans toute sa splendeur.
« Le masculin l’emporte sur le féminin », on se souvient toutes de cette phrase. C’est toujours dur pour une petite fille qui apprend à se construire, de découvrir que, même s’il y a un seul garçon entouré de 10 filles, il sera prioritaire. Pourtant, cette règle de grammaire n’est jamais remise en question.
On dit que la vérité sort de la bouche des enfants, et je me souviens, la petite Francesca de 6 ans avait la tête pleine de questions. Pourquoi « Elles jouent » devient « Ils jouent », dès qu’un garçon vient avec moi et mes copines ? Pourtant je n’ai pas disparu entre-temps. Ne sommes-nous pas 50% de la population sur Terre, nous les filles ? Et surtout, surtout, pourquoi ça ne choque que moi ?
Forcément, quand la maîtresse m’a répondu « Parce que c’est la règle », j’ai compris que les adultes auraient toujours raison et que je n’avais pas mon mot à dire, même si je ne comprenais pas.
Je ne suis pas devenue féministe un jour précis. Je l’ai toujours été, et ce sentiment s’est renforcé avec le temps. Je le suis devenu en grandissant, en réalisant que je n’étais pas la seule petite fille à me poser des questions en CP, en entendant les garçons dans la cour du collège parler de « nous baiser », en voyant mes amies se faire siffler, en me faisant gronder par la CPE du lycée parce que « mon short est trop court ».
Mais à l’heure où la température augmente chaque été, où le harcèlement scolaire reste totalement banalisé, où certains profs se permettent de faire des remarques plus que déplacées sur nos corps, c’est vraiment mon short qui pose problème ???
Je suis intimement convaincue que le plus gros problème de cette société, est qu’on a intériorisé beaucoup de misogynie, de racisme et d’injustices en général. Sur le papier, nous ne sommes pas dans une société patriarcale. Pourtant dans la vraie vie, un garçon qui drague beaucoup de filles est considéré comme cool, mais une fille qui drague beaucoup de garçons, c’est une p*te.
J’ai 18 ans et je viens de sortir du lycée, je sais de quoi je parle.
Un garçon qui est drôle, c’est normal, une fille qui fait rire, c’est un garçon manqué. Un homme violent est viril, une femme agitée est hystérique.
C’est dur de déconstruire toutes ces idées, parce qu’elles se cachent dans nos têtes sans même qu’on s’en rende compte. Elles sont discrètes, vicieuses, mais ancrées dans notre quotidien. Même moi, pour être honnête, je réalise que je vais parfois dans le sens de tout ce que je déteste (et je pense que c’est le cas pour chacune d’entre nous). L’esprit critique me semble donc essentiel si on veut créer une société de tolérance, c’est-à-dire se poser la question : Est-ce que je pense cela parce que c’est une réalité, ou parce qu’on le pense tous sans réfléchir à ce qui se cache derrière ?
Je me souviens d’une discussion quand j’avais 15 ans, où je faisais remarquer à une amie qu’on avait tous tendance (moi incluse) à se moquer des filles plutôt que des garçons. Elle m’avait répondu que non, pas du tout.
Alors j’ai commencé à observer et à prendre note des réactions des gens, de leurs paroles, et 3 ans après, le constat est exactement le même : ce sont toujours les femmes qui se prennent le plus de moqueries et de critiques, allant de « elle a aucune autorité » à « elle s’énerve pour rien » en passant par « elle serait plus jolie si… ». J’ai entendu chacune de ces phrases au moins une fois dans ma vie alors qu’elles étaient injustifiées. Et si vous prêtez l’oreille, vous verrez qu’effectivement, 4 fois sur 5 les critiques sont adressées à des femmes exclusivement.
Et puis, il m’est déjà arrivé qu’en parlant de féminisme, on me sorte cette phrase : « mais Francesca, les femmes ont déjà les mêmes droits que les hommes en France, tu chipotes sur des futilités ». C’est vrai que j’ai le droit de voter, de travailler sans l’accord de personne, d’aller à l’école mixte. Mais chez moi, tous les papiers administratifs se mettent automatiquement au nom de mon père alors que c’est ma mère qui paie les impôts, si je sors dans la rue je dois faire attention à comment je m’habille pour ne pas me faire remarquer, et pour l’instant seulement 17% des chefs d’État du monde sont des femmes.
Si on ne le vit pas, ça peut paraître subtil, mais en réalité, c’est humiliant. Alors oui, on pourra toujours dire que c’est déjà mieux qu’avant, mais pour moi, ce n’est pas assez.
En tant qu’hypersensible, j’ai toujours eu le besoin de comprendre tout ce qui m’entourait et d’y trouver un sens, et je crois que c’est ce qui m’a autant sensibilisé aux causes féministes. Parce que je n’arrive pas à trouver de sens à l’inégalité et à l’injustice, pourtant, je vous jure, j’essaye de comprendre, mais je n’y arrive pas.
Bien sûr, j’ai conscience que les hommes et les femmes ont leurs différences et que c’est ce qui nous rend plus forts en tant qu’êtres humains.
Mais pourquoi ne parler que de 3 femmes au long de 18 ans de cours d’histoire ?
Pourquoi dès qu’une femme se met à parler sur un plateau télé, tout homme environnant prend comme tâche principale de lui couper la parole ?
Pourquoi nous, les femmes, sommes payées ne serait-ce que 2% de moins (pourtant nous savons toutes que ce chiffre est plus élevé) ? Est-ce que je vaux 2% de moins qu’un homme??
Comme vous pouvez le lire, beaucoup de questions restent sans réponse pour moi. Mais je ne veux pas continuer à me les poser.
J’ai beaucoup de projets et d’idées d’avenir, et pour toutes ces raisons, une de mes nombreuses ambitions serait de me retrouver un jour en face du tableau des CP et de pouvoir répondre à ces petites filles de 6 ans :
« C’est vrai que c’est la règle. Mais à vous de la déjouer. Les femmes sages n’ont jamais marqué l’histoire 😉 »